lundi, février 22, 2010

Réflexions sur le capitalisme cognitif

La Fondation Télécom a reçu cette semaine Yann Moulier Boutang, économiste, chercheur, éditeur et militant, avec qui nous avons longuement échangé sur l'économie post-numérique.

Je ne saurais, en un billet, résumer les analyses - et moins encore le système d'analyse - d'un auteur comme Yann. Pour ceux qui voudront aller plus loin, je recommande son ouvrage récent, Le Capitalisme cognitif, ou le prochain qui devrait paraître dans quelques semaines, L'Abeille et l'économiste.

Je voudrais en revanche partager ici quelques-uns de ses postulats qui, personnellement, me semblent très probants. Et si ce billet s'éloignait trop des analyses de Yann Moulier Boutang, disons alors qu'il présente les analyses personnelles que m'inspire cette pensée et les nombreux échanges que j'ai là dessus avec Antoine Rebiscoul, qui travaille pas mal avec Yann.



1- L'une des conséquences directes du développement du numérique est le développement d'un nouveau capitalisme, que l'on peut appeler cognitif :
- la première phase d'industrialisation du capitalisme avait consisté à mécaniser et à démultiplier la force physique. Ayant remplacé ou capté la force physique des humains, les stratégies industrielles ont visé à incorporer le maximum de cognitif et le savoir dans les processus de production. C'est ce qui explique l'importance accordée à la propriété intellectuelle dans cette première phase, et le considérable raidissement sur ces questions que l'on observe depuis les années 80, c'est-à-dire depuis que ce modèle vacille.
- la deuxième phase d'industrialisation, née avec le numérique, a conduit à mécaniser des fonctions intelligentes, en codifiant des fonctions logiques, symboliques ou économiques. Les nouvelles stratégies industrielles ne visent donc plus seulement à incorporer du savoir dans des machines pour capter ou produire de la force : elles visent désormais à incorporer des moyens de capter du potentiel d'innovation et de création, et si possible les créations spontanées des utilisateurs.

2- Ce mouvement bouleverse réellement l'économie, comme le prédisaient, au fond, les théoriciens de la "nouvelle économie". Il remplace la production de masse, standardisée, par une production plus personnalisée, plus adaptée, impliquant les bénéficiaires dans la création de valeur, comme on le voit dans les domaines  de la santé ou de l'éducation. Il change aussi le statut des biens de connaissance, qui, en tant que supports de ces stratégies, deviennent quasiment des biens publics, non rivaux et non excluables, et deviennent de ce fait difficiles à rémunérer en exploitation directe, puisque leur valeur repose essentiellement sur leur utilisation concrète et singulière. (NB : c'est pour ceci que j'ai trouvé si intéressant la vidéo sur les évolutions de la Remix Culture).

3- Ces nouvelles créations de valeur débordent les processus industriels classiques. La circulation rapide des chose et des idées, la coproduction de valeur avec les utilisateurs, la contribution gratuite sont partie intégrante de la valeur des nouveaux services. Ils sont plus "biologiques" que "mécaniques".

4- C'est pourquoi les métaphores écologiques sont particulièrement intéressantes.
- la métaphore de la pollinisation. Les économistes américains ont tenté de chiffrer les revenus générés par l'exploitation du miel et de la cire des abeilles, puis ont tenté de quantifier la valeur créée par l'ensemble des activités des abeilles (incluant donc, la pollinisation). Le rapport est de 1 à 350. Pour un dollar d'exploitation directe du travail des abeilles, il y a 350 dollars de revenus issus du rôle écologique des abeilles. Le web 2.0 peut être lu comme une tentative de libération du potentiel des abeilles internautes. Pollinisez, pollinisez, il en sortira bien de la valeur. Les dernières stratégies en date, chez Apple, chez Facebook ou chez Google, ressemblent bien à des tentatives de capter cette valeur. Les prochains défis d'Internet risquent bien de tourner autour de la question de savoir qui va profiter de cette activité spontanée de pollinisation : les internautes ? les plate-formes ? les moteurs de recherche ?

- la métaphore du récif corallien est également intéressante si l'on se souvient que le corail est un animal (en fait une colonie de mico-organismes), qui a donc besoin, pour vivre, de plancton. Le corail est donc à la fois indispensable à l'incroyable écosystème qu'il héberge, et il en a complètement besoin pour survivre. Et nous sommes ici bien au-delà des formes mieux connues de dynamique des écosystèmes que sont la prédation, la symbiose ou le parasitisme. Nous sommes beaucoup plus dans une forme de bouillonnement qui ressemble à ce que deviennent les écosystèmes numériques.



Si ces thèses sont justes, comme je le pense, nous allons avoir plusieurs défis assez conséquents.
Le premier est la question de la valeur, qui concernera jusqu'aux fondements de nos modèles économiques et financiers. Combien prêterait-on aux apiculteurs américains ? Question toute bête, mais qui a pas mal de ramifications. Une banque normalement constituée ne prêtera aux apiculteurs qu'en fonction des revenus directs. c'est normal. Mais un Etat menacé de disparition des abeilles et de leur activité pollinisatrice devra eut-être raisonner autrement et mettre en place de nouveaux mécanismes de financement.

Une autre question pourrait prendre des résonances beaucoup plus écologiques. Si l'économie contemporaine commence une course aux externalités, en essayant de capter un maximum d'externalités, il va falloir se préoccuper différemment des externalités négatives, et commencer à se préoccuper sérieusement des limites à ces externalités, et notamment de la planète elle-même.

Ce serait plutôt une bonne nouvelle pour la planète. Mais ce serait un peu inquiétant pour les économies qui persisteraient à récuser ce mlouvement et à s'arc-bouter sur des modèlescompatbles  anciens et déjà dépassés.

1 commentaire:

  1. Sur quel modèle comptable a été construite la stratégie de Lisbonne
    ******************************************
    [La stratégie de Lisbonne, ou agenda de Lisbonne, ou processus de Lisbonne, désigne l'axe majeur de politique économique et de développement de l'Union européenne entre 2000 et 2010, décidé au Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 par les quinze États membres de l'Union européenne d'alors.

    L'objectif de cette stratégie fixé par le Conseil européen de Lisbonne est de faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010, capable d’une croissance économique durable]
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    YMB est un Européen convaincu qui a bataillé pour le OUI à l'Europe du traité de Lisbonne
    La stratégie de Lisbonne (bilan cette année) est un échec total
    Le traité a figé l'Europe plus qu'elle ne lui a donné de réalité (partage des lieux de décision)

    Évitons de travailler au service de ceux qui, après avoir collectivisé les bras
    souhaitent collectiviser les esprits.

    Rappelons que l'Intelligence Collective est une régression (du cerveau individuel humain vers le modèle de la ruche)
    (le formica remplace ici encore le chêne ...)
    ________
    Alphonse Brunstein

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